Laurence Vollant-Vachon, artiste multidisciplinaire et Prix du lieutenant-gouverneur 2024, revient du Festival TransAmériques, qui s’est tenu à Montréal. Invitée à Eka shakuelem, une initiative du FTA pour artistes autochtones, l’Innu de Petsiamit a pris le pas sur elle-même pour se « dégêner ». Du 24 au 30 mai, elle a vécu une semaine formatrice, voire transformatrice. En innu Eka shakuelem signifie ne sois pas timide.

Pourquoi était-ce important pour toi de participer à Eka shakuelem, et plus largement au FTA, à Montréal ?
Laurence Vollant-Vachon – « Eka skakuelem est un projet particulier, unique. Et le FTA est le seul festival qui le propose. À Montréal, il y a beaucoup d’artistes autochtones, et le FTA encourage les arts autochtones. Y aller et avoir la chance de rencontrer des artistes autochtones, c’est vraiment chouette ! En plus, Montréal, c’est une ville où il se passe plein d’événements artistiques. J’aimerais déménager à Montréal pour les opportunités qu’il y a dans le domaine des arts. On dirait que tout le monde en fait ! »

En participant au Festival TransAmériques, tu souhaitais y trouver des idées pour nourrir ton processus créatif. Qu’est-ce qui a inspiré ta créativité au FTA ?
L. V. V. – « Les médiateurs d’Eka shakuelem et le FTA ont choisi de très bonnes pièces, très diverses. Voir une pièce par jour, c’est beaucoup, mais ça permet de voir toutes les possibilités que les arts théâtraux et littéraires offrent. Il y avait aussi les rencontres avec les artistes, qui nous ont parlé de leur processus créatif, qui enrichit le nôtre, par conséquent. On avait aussi des ateliers de danse et de théâtre, le matin. Et pour moi qui ne danse ni ne fais de théâtre, ça m’a quand même permis d’intégrer le mouvement dans ma pratique, que ce soit littéraire, poétique, dramatique. Parce que même quand on ne danse pas, en tant qu’artiste, on crée du mouvement. »

Image du site www.lojiq.org

La danse anime les rencontres entre artistes, au FTA

En innu, Eka shakuelem signifie ne sois pas timide. Comment est-ce que ça résonne en toi depuis que tu y as participé ?
L. V. V. – « Même avant Eka shakuelem, j’essayais de me dégêner parce qu’on passe une semaine avec des personnes qu’on ne connaît pas. Il faut même se dégêner vite pour pouvoir pleinement profiter de l’expérience. Ça s’est super bien passé.

Dans les ateliers de théâtre et de danse, Charles Bender – qui nous a beaucoup aidé à nos ouvrir – nous disait tout le temps de décoller notre lampe frontale pour pleinement vivre l’atelier. Autrement dit, de mettre de côté notre peur des autres, le regard des autres, la peur de soi… Aussi, on nous encourageait à aller vers les artistes qu’on croisait. Souvent, on est trop gêné de leur poser des questions. Et si on est trop gêné de leur poser des questions, on ne saura jamais la réponse.

Par exemple, j’ai vu une pièce de théâtre que j’ai beaucoup aimée… Ça s’appelait Rinse. Malheureusement, l’artiste, Amrita Hepi, d’origine maori, n’était pas dans notre programme de rencontre. Mais, le FTA permet aux artistes, aux festivaliers, aux invités – dont nous – d’accéder au QG. Donc, j’y allais tous les jours en espérant la voir, mais je ne la voyais jamais. Un jour, je l’ai vu quitter le QG, mais j’ai décidé de ne pas lui courir après, hmmm … parce que j’étais un peu gênée !

Et finalement, au party de clôture d’Eka shakuelem, une autre participante m’a dit : « Regarde en arrière de toi. »  Et je l’ai vue ! Là, je me disais qu’il fallait que j’y aille, mais j’avais peur. Mes amies m’encourageaient à y aller, certaines m’ont même offert d’y aller avec moi. J’étais trop gênée ! Je me suis dit j’ai perdu ma chance…

Puis, pendant qu’on était dehors, elle est sortie toute seule. Alors là, j’y suis allée. On a eu une belle rencontre. En plus, elle savait qui on était parce qu’on lui avait parlé de nous – la cohorte d’Eka shakuelem. Elle était tellement contente ! Elle aussi avait cherché à nous rencontrer en restant plus longtemps aux pièces de théâtre que nous étions allé voir ! Finalement, je suis vraiment heureuse de m’être dégênée pour aller vers elle. »

Image du site www.lojiq.org

La cohorte 2024 d'Eka shakuelem, entourée d'Amrita Hepi et de Charles Bender

Le FTA accorde une place importante aux échanges sur les enjeux sociaux. Comment est-ce que ces discussions font écho à ta réalité de jeune artiste autochtone ?
L. V. V. – « J’ai des sentiments par rapport à mon art. Mais à entendre d’autres s’exprimer sur ce que je fais, on dirait que – parce que je suis autochtone – tout ce que je fais est bien. Parce que je suis autochtone… Par exemple, à l’école, parce que j’ai mis kuei bonjour, en innu – dans un de mes poèmes, on me dit : « C’est tellement bon !… » Alors que moi, je pense que ça pourrait être mieux.

Lors des rencontres entre artistes autochtones, on a discuté de ces regards sur notre art. Amrita en parle aussi dans Rinse. Je me suis sentie normale, comprise. Quelqu’un m’a conseillé d’accepter ces retours sur ce qu’on fait en tant qu’artiste. Les regards des autres sur l’art des artistes minoritaires est un sujet qui est souvent revenu pendant les discussions. On a reçu beaucoup de conseils sur la façon de gérer nos sentiments vis-à-vis notre art et vis-à-vis le regard des autres. »

Alors, toi, depuis le FTA, comment gères-tu ton sentiment et l’appréciation des autres de ton art ?
L. V. V. – « Justement, je me dis qu’il y a place à l’amélioration, qu’il ne faut pas que j’écoute les gens qui me disent que tout est bon. Il faut que moi, j’aime mon art, avant tout. »

Propos recueillis par Nadège Célestin

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